Contexte et justification
Une étude réalisée dans des sites hospitaliers et de soins communautaires à Madagascar a montré la présence de plasmides porteurs de gènes de résistances aux β-lactamines chez les entérobactéries avec une prédominance des gènes bla CTX-M15 et bla SHV12 qui codent pour une β-lactamase à spectre étendu – BLSE – (Rakotonirina HC et al. BMC Microbiol. 2013 13:85.). D’autre part, une étude réalisée par Talan AD et al. (EID. 2016 22(9):1594–1603) a démontré la haute prévalence [84% (22/26)] de la β-lactamase CTX-M15 (CTX-M-1 group) codée par le gène bla CTX-M15 parmi l’espèce Escherichia coli responsable des cas de pyélonéphrites (infections urinaires).
La plupart des laboratoires hospitaliers dans les pays à faible revenu (PFR) n’ont pas les moyens de réaliser des analyses bactériologiques et a fortiori des antibiogrammes. Les patients reçoivent des traitements antibiotiques en présomptif sans savoir s’ils sont adaptés à la sensibilité des bactéries infectantes par absence de prélèvements biologiques. Cette absence d’analyses de bactériologie est également un frein à l’obtention de données épidémiologiques précises sur les résistances aux antibiotiques à Madagascar et dans les PFR. Pour décentraliser les diagnostics et les rendre plus accessibles aux structures de santé périphériques avec un délai court de rendu de résultats, il est nécessaire de mettre à la disposition des laboratoires des tests de diagnostic de proximité, bon marché. Des techniques innovantes basées sur l’amplification isothermique de l’ADN ont été développées pour le diagnostic de virus, bactéries et parasites. Parmi elles, la LAMP (« Loop mediated isothermal Amplification ») a démontré des propriétés compatibles avec nos objectifs de diagnostic de proximité :
- pas de nécessité de thermocycleur
- pas de nécessité d’extraction sophistiquée de l’ADN
- sensibilité et spécificité élevées
- cycle court d’amplification de 60 mn à une température isotherme – 65°C –
- résultats lisibles directement à l’œil nu
- coût réduit.
La technologie LAMP semble donc être une bonne candidate pour être transférée dans les laboratoires des hôpitaux de district de manière à permettre un diagnostic rapide et renforcer les réseaux de surveillance nationaux. L’Institut Pasteur de Madagascar (IPM) souhaite développer cette technologie en priorité pour la détection des résistances bactériennes aux antibiotiques et de pathogènes fréquents dans les infections urinaires (Escherichia coli, Klebsiella penumoniae, Enterococcus faecalis, Proteus mirabilis) ou de bactériémies (Fiche BEx-Child’s Play).
Objectifs
Mettre à la disposition des PFR des tests diagnostiques basés sur la biologie moléculaire (technique LAMP), simples d’utilisation, peu onéreux, dédiés à l’identification de bactéries pathogènes et de gènes de résistance aux antibiotiques.
Méthodes
La technologie LAMP a déjà été utilisée dans l’identification de certaines bactéries (S. pneumoniae, S. aureus, M. tuberculosis) et de certaines résistances aux carbapénèmes (NDM-1, IMP-1, VIM-2) après culture conventionnelle de ces bactéries.
Notre projet est ciblé sur la détection des principales bactéries responsables d’une forte proportion des infections urinaires (E. coli, K. pneumoniae, E. faecalis, P. mirabilis) avec, en complément, la détection des gènes de résistance aux céphalosporines de 3ème génération (C3G) blaTEM, blaSHV et blaCTX-M, rendant caduque la première indication thérapeutique dans des cas de pyélonéphrites aiguës (ceftriaxone). Après une heure d’amplification à 63°C, les produits LAMP sont analysés par une coloration avec le Sybr Green I (SG I) (positifs en Jaune vert, négatifs en orange) et ensuite contrôlés par une électrophorèse sur gel d’agarose.
Dans un premier temps, la spécificité de cette technique a été déterminée sur des ADN extraits de colonies de souches de référence en comparant avec l’amplification PCR comme méthode de référence.
Dans un second temps, cette technique a été adaptée pour qu’elle soit utilisable directement sur les prélèvements (liquides stériles comme l’urine). L’échantillon d’urine récoltée a subi une centrifugation de 12 000rpm/5min. La suspension du culot obtenue a été testée par LAMP. Les résultats ont été comparés à ceux d’ECBU (examen cytobactériologique des urines réalisé au Centre de Biologie Clinique de l’IPM).
Résultats et discussion
Les amorces LAMP permettant l’amplification des espèces E. coli, K. penumoniae, E. faecalis ont été tirées de la littérature scientifique. Les amorces génériques pour les gènes bla des groupes CTX-M1, CTX-M2, CTX-M8, CTX-M9 (selon R. Bonnet, AAC 2004, 48(1):1-14), TEM et SHV, ainsi que pour Proteus mirabilis ont été développées pour les amplifications par PCR conventionnelle (technique de référence) et pour la technologie LAMP. Les tests de sensibilité pour les amplifications LAMP et PCR ont montré que l’amplification par la technologie LAMP est 100 à 1000 fois plus sensible (limite de détection : 1 à 0,1pg/µL) que celle par PCR (0,1ng/µl). Les tests de spécificité pour les amplifications LAMP appliquées à 40 souches d’espèces différentes du laboratoire préalablement typées et présentant 42 gènes de résistances différents (comme tem, oxa, pse, per, ges, vim, dha, cmy, fox, cit, ebc, veb) ont montré que les amplifications avec les amorces LAMP ciblant les groupes CTX-M1, CTX-M8, CTX-M9 et l’espèce P. mirabilis étaient spécifiques à 100%. En revanche, les amplifications avec les amorces LAMP ciblant le groupe CTX-M2 étaient spécifiques à 90% (réactivité croisée avec les gènes veb, tem-3 et shv-2a).
Les tests de validation d’amplification LAMP sur E. coli, K. penumoniae, E. faecalis, P. mirabilis et le gène de résistance CTX-M group 1 ont été effectués sur 160 urines de patients suspectés d’avoir une infection urinaire. Les valeurs de spécificité et sensibilité pour l’amplification LAMP pour les espèces Escherichia coli, Proteus mirabilis et du gène CTX-M du groupe 1 atteignaient 100%. Les valeurs de spécificité pour l’amplification LAMP de détection des Klebsiella pneumoniae et des E. faecalis étaient de 95%.
Les amplifications LAMP développées dans cette étude sont rapides, sensibles et spécifiques et pourraient être facilement introduites dans des cliniques moins bien équipées pour le diagnostic de routine des infections urinaires. Cependant, le nombre limité d’échantillons justifie une validation avec un plus grand nombre d’échantillons avant que cet essai puisse être largement déployé.
Impact
Si cette technique s’avère transférable dans les laboratoires de PFR, elle permettra non seulement une meilleure prise en charge des patients (rapide et adaptée), mais aussi l’insertion de ces laboratoires dans des réseaux de surveillance des résistances aux antibiotiques aux niveaux nationaux et internationaux. Ce dernier aspect est fondamental pour que l’on puisse obtenir des données sur la surveillance des bactéries pathogènes et la situation de la résistance aux antibiotiques dans ce type de pays.