Contexte et justification
La dissémination des bactéries résistantes aux antibiotiques est un problème majeur de santé publique. L’infection causée par les bactéries multi-résistantes (BMR) aggrave le pronostic des malades infectés et augmente les dépenses liées à leur prise en charge. Parmi les bactéries multi-résistantes, les bacilles Gram négatifs (BGN), plus particulièrement les entérobactéries productrices de bêta-lactamases à spectre étendu (eBLSE) sont les plus fréquemment isolées. Ces BMR sont responsables de colonisation et d’infections d’enfants ou adultes, qui peuvent être malades ou sains. Le microbiote intestinal joue un rôle majeur sur des multiples aspects de la santé et influe sur la colonisation intestinale par des bactéries BMR. La caractérisation de la dynamique du microbiote intestinal au cours de la première enfance est donc très importante. Cependant, très peu d’études ont été réalisées dans les pays à faible ressource comme Madagascar.
Objectifs
Ce projet a pour objectif principal de caractériser les facteurs qui influent sur la composition du microbiote digestif humain dans la petite enfance et sa colonisation par des BMR. Le projet prévoit de caractériser au niveau génomique les bactéries possédant une BLSE et/ou une carbapénemase. En utilisant une nouvelle approche de modélisation, le projet tentera d’identifier les interactions écologiques entre les espèces bactériennes (définie sous forme d’OTU, « operational taxonomy unit ») qui contribuent à la colonisation du nouveau-né par les BMR.
Méthodes
1. Recrutement
Ce projet s’appuie sur le programme BIRDY (voir fiche UBE-BIRDY), dont la phase pilote à Madagascar a commencé en septembre 2012 dans 2 sites : un site urbain (Antananarivo) et un site rural (Moramanga).
Le programme BIRDY est une cohorte prospective multicentrique de nouveau-nés suivis jusqu’à l’âge de 18 mois ayant comme objectif d’estimer l’incidence des infections bactériennes résistantes aux antibiotiques dans les pays à faible ressource. Le recrutement des nouveau-nés pouvait se faire à 2 moments : au moment de l’accouchement ou en amont de l’accouchement lors d’une phase appelée pré-inclusion (3eme trimestre de la grossesse). A l’admission, les données épidémiologiques ainsi que les caractéristiques socio-démographiques étaient recueillies en utilisant un questionnaire standardisé pour tous les participants. Par la suite, les enfants ont été suivis dès leur naissance sur les 18 premiers mois de vie.
Dans le cadre du projet PTR 558 Microbiome, les enfants ont été suivis dès la naissance jusqu’à 3 mois.
2. Collecte des échantillons, conservation et isolements bactériens
Deux types d’échantillon ont été collectés pour les bébés ou leur maman: des échantillons de selles ou des écouvillons rectaux. Chaque échantillon a été testé pour la présence de BMR par culture et ensuite congelé à -20°C.
3. Analyse microbiologique des souches isolées sur milieu sélectif
Les prélèvements ont étés cultivés sur le milieu chromogénique « ChromAgar ESBL » qui sélectionne les bactéries résistantes aux céphalosporines de 3ème génération (C3G-R) et les milieux ont été ensuite incubés à 37°C pendant 24 heures. Chaque morphotype de colonie a été repiqué, identifié par spectrométrie de masse MALDI-TOF puis conservé à -80°C. Le reste des colonies a été raclé et conservé à -80°C. Ce culot constitue le « pool de bactéries résistantes aux C3G dont l’ADN total a été extrait en utilisant le kit Qiagen DNeasy Blood & Tissue Kit adapté sur le Qiacube HT.
4. Séquençage des pools de bactéries
Dans un premier temps, une partie des mélanges bactériens ont été séquencés pour capturer la diversité des souches BLSE et de l’ensemble du résistome de ces souches. Si des souches intéressantes sont détectées, il sera possible d’analyser les souches individuelles conservées dans la biobanque.
5. Etude des communautés microbiennes
L’ADN fécal a été extrait en utilisant le kit « cador Pathogen 5*96 QIAcube HT Kit » et la diversité bactérienne est analysée par une approche métagénomique. Pour cela les régions variables V3V4 de la région rDNA16S ont été amplifiées par PCR et séquencées en utilisant les kits 2 x 300 bases Illumina sur un séquenceur MiSeq. Les réactions de séquence sont indexées en utilisant les index Illumina et regroupées.
Résultats et discussion
1. Cohorte pédiatrique et collecte des échantillons
Le recrutement s’est appuyé sur les infrastructures mises en place dans le cadre du programme BIRDY. L’inclusion s’est déroulée du 01 octobre 2015 au 30 septembre 2016. 341 couples mères-enfants ont été inclus en un an. Parmi ces couples mères-enfants, seulement 48 bébés avaient un arrêt de suivi prématuré (c’est-à-dire avant le 3e mois). La principale cause de cet arrêt prématuré était le déménagement. Cela montre l’acceptation du projet par la population.
L’objectif était de collecter un échantillon de selles de la mère au moment de l’accouchement et 10 échantillons par enfant pendant leurs 3 premiers mois de vie. Trois prélèvements supplémentaires étaient collectés chez l’enfant en cas de prise d’antibiotiques. 115 enfants avaient reçu des antibiotiques durant leur période de suivi et des prélèvements supplémentaires ont été obtenus seulement chez 76 enfants suite à certaines difficultés logistiques. Les personnes impliquées dans la naissance du bébé (sages-femmes, matrones) ont été aussi prélevées lorsqu’elles étaient d’accord. Au total, 3640 échantillons de selles (ou écouvillons) ont été collectés.
Des renseignements sociodémographiques, les facteurs de risque d’infection et de portage des bactéries multirésistantes ont été collectés à chaque visite à domicile faite par les enquêteurs du projet. Toutes ces données ont été reprises sur des questionnaires papier et sont archivées à l’Unité d’Epidémiologie de l’Institut Pasteur de Madagascar (IPM).
Ces données ont été ensuite saisies par les enquêteurs dans une base de données en ligne « OpenClinica » créée spécialement pour ce projet avant analyse.
2. Caractérisation microbiologique et génomique des échantillons
Au cours de la première année, nous avons analysé 3640 prélèvements (selles /écouvillons rectaux) dont 530 étaient positifs sur le milieu « ChromAgar ESBL ». Les taux de positivité étaient répartis comme suit : enfants: 317/3640 (8,7%), mères: 160/364 (44%) et accoucheuses: 53/249 (21,3%). Nous avons isolé au total 558 souches bactériennes dont les principales espèces étaient : Escherichia coli (32%), Klebsiella pneumoniae (22%), Enterobacter cloacae (9%), Citrobacter freundii (2%), et des entérobactéries non-fermentantes : Acinetobacter spp. (29%), Stenotrophomonas maltophilia (3%), Chryseobacterium gleum (1%), Kluyvera ascorbata (1%), Brevundimonas diminuta (1%).
Les ADN de 69 isolats et de 33 mélanges de pools bactériens correspondant sont en cours de séquençage. Grâce à un stage de M2 de bio-informatique, un pipeline pour analyser ces métagénomes simples correspondants à un petit nombre d’espèces avec éventuellement plusieurs souches pour une même espèce a été développé.
Pour l’étude des communautés microbiennes, un total de 352 ADNs correspondant à 42 enfants prélevés à plusieurs reprises (minimum 9 fois) et leurs mères (un prélèvement) ont été séquencés. Les analyses sont en cours en utilisant la suite de logiciel Qiime. Les résultats préliminaires montrent un nombre plus faible qu’attendu d’OTUs pour les mères et des compositions très variables des microbiomes des bébés au cours des trois premiers mois de la vie. Des expériences tests sont réalisées pour évaluer ces résultats.
Impact
Le PTR 558 Microbiome permettra d’améliorer notre connaissance de la composition du microbiote et sa dynamique dans la petite enfance. Il fournira des connaissances au niveau génomique les bactéries résistantes aux antibiotiques qui circulent à Madagascar. Il permettra également d’identifier les facteurs qui influencent la colonisation par des bactéries résistantes et déchiffrer le rôle du microbiote intestinal. La modélisation mathématique sera facilement adaptable à d’autres études épidémiologiques sur le microbiote intestinal et d’autres environnements tels que la peau, le nez ou le tractus urogénital.
Le PTR 558 Microbiome contribuera aussi au transfert d’expertise en génomique et bioinformatique à l’Institut Pasteur de Madagascar et une connaissance du terrain de Madagascar pour l’Institut Pasteur à Paris.