Dans le cadre de la célébration des 120 ans de l’IPM, un atelier sur la modélisation en écologie et en épidémiologie a été organisé au Centre ValBio à Ranomafana par l’Université de Princeton, Harvard, l’Université de Cape Town, l’ONG Pivot et l’IPM. Le cours a été financé partiellement par le projet NIH et coordonné par l’Unité de Virologie de l’Institut Pasteur de Madagascar.
Jean Marius RAKOTONDRAMANGA, un des moniteurs et participant à cet atelier, est mathématicien et modélisateur en maladies infectieuses au sein de l’Unité d’Epidémiologie et de Recherche Clinique de l’IPM. Il nous en dit un peu plus sur son métier et sa contribution à l’amélioration de la santé des populations.
Pourriez-vous vous présenter brièvement ?
Je suis Jean Marius RAKOTONDRAMANGA. Actuellement, je suis mathématicien et modélisateur au sein de l’Unité d’Epidémiologie de l’Institut Pasteur de Madagascar. Je coordonne le Groupe G2B (Biomathématiques et Biostatistiques) de l’Unité.
Qu’est-ce qu’un modélisateur exactement ? En quoi consiste votre métier à l’IPM ?
Comme le nom l’indique, un modélisateur construit des modèles. Pour être plus explicite, c’est une sorte de conceptualisation et projection de la réalité. Nous essayons d’identifier des phénomènes ou des mécanismes (de transmission pour les maladies transmissibles et d’évolution pour les non-transmissibles) qui constituent les questions de recherche ou qui sont en relation avec les données collectées à travers les enquêtes terrain ou les interventions réalisées par nos équipes coordonnées par les médecins épidémiologistes. Notre jeune groupe, G2B (Groupe Biostatistiques et Biomathématiques) travaille, par ailleurs en transversalité, avec les différentes Unités de Recherche de l’IPM, qui disposent déjà des données de santé et des données biologiques.
Nous sommes donc fréquemment sollicités pour réaliser des modélisations biostatistiques ou biomathématiques appliquées aux maladies infectieuses, des supports techniques pour les unités de recherches comme les analyses de données ou la correction de leurs scripts d’analyses (programme d’analyses). En gros, nous appuyons les unités afin d’améliorer leurs scripts et les méthodes d’analyses des données.
Comment êtes-vous devenu modélisateur en biostatistiques et biomathématiques ?
Après mon Baccalauréat, j’ai suivi une formation en Sciences Mathématiques et Informatique à l’Université Ibn Zohr Agadir au Maroc. J’ai continué en Master spécialisé en Mathématiques Financières à l’Université Mohammed V à Rabat, après l’obtention de ma Licence. J’ai donc été initié à toutes les techniques de bases en statistiques, en modélisation des séries temporelles et les probabilités et calcul stochastique , et bien sûr, les modélisations appliquées à la finance.
Parlant de background, j’ai eu une formation en mathématiques et en informatique qui m’ont permis d’atteindre mes objectifs, spécialement pour l’application en modélisation et « scripting ». C’était une formation assez complète qui m’a aidé à élargir mes connaissances et à les appliquer dans différents domaines, y compris en Epidémiologie et les Maladies Infectieuses.
Comment avez-vous commencé votre carrière à l’IPM ?
J’ai débuté ma carrière dans la finance en tant qu’actuaire et analyste financier, auprès d’un établissement financier malagasy. J’ai pu développer pendant cette période quelques modèles applicables à la finance adaptés à la situation de Madagascar. Cependant, l’intérêt et l’impact direct envers les populations n’étaient pas si visibles que ça, il me fallait trouver un point d’impact et un cadre de travail plus palpable comme la santé pour mieux toucher les populations.
En 2014, il y a eu une offre de l’IPM pour recruter un modélisateur et j’ai postulé quand j’ai trouvé qu’il y avait vraiment une opportunité de m’orienter vers une nouvelle direction, qui est la santé et l’épidémiologie. Cette offre correspondait parfaitement à mon profil et permettait d’évoluer. C’est auprès de l’Institut Pasteur de Madagascar (IPM) que j’ai pu trouver ce cadre qui m’a permis d’échanger avec beaucoup de chercheurs, nationaux ou internationaux, et d’acquérir plus de compétences et d’expériences pour modéliser les données de santé.
La santé publique et l’épidémiologie étaient donc pour moi une opportunité de contribuer à l’amélioration de la santé de la population à Madagascar, à travers des modèles mathématiques appliqués en biostatistiques ou biomathématiques.
Comment vous est venu le choix de devenir modélisateur ?
Au début, quand j’ai étudié les mathématiques, ce n’était pas si clair que ça. Il m’a fallu des années pour m’orienter vraiment vers une piste d’évolution de carrière en essayant de travailler avec des gens d’expériences comme ceux de la modélisation mathématique des maladies infectieuses de l’Institut Pasteur à Paris (IPP), de l’Université de Princeton et de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). J’ai donc pu voir, palper l’intérêt et aussi la portée que peuvent apporter les modélisations statistiques ou mathématiques au métier de la santé. Devenir modélisateur auprès de l’unité d’épidémiologie et de recherche clinique était une évidence et ainsi une grande opportunité pour contribuer à la santé de la population malagasy.
En tant que modélisateur, comment trouvez-vous la situation de ce métier à Madagascar ?
Pour l’instant, je dirais que nous sommes à mi-chemin parce que depuis 2016, nous avons commencé à vulgariser le métier à travers les workshops comme E²M². L’organisation de ce dernier nous a permis de cibler des étudiants, des jeunes chercheurs de différents domaines pour leur montrer l’intérêt de la modélisation que ce soit en épidémiologie ou en écologie. La plus-value apportée par la modélisation est la compréhension des mécanismes, les phénomènes qu’ils étudient dans leurs domaines respectifs. Le sujet en question, qui est la modélisation, commence bien à démarrer à Madagascar et je pourrai dire que d’ici deux ou trois ans, on pourra récolter les fruits de nos travaux réalisés jusqu’à présent. Aussi, ce serait l’occasion de constituer un groupe informel de modélisateurs dans le domaine des données de santé.
Notre groupe G2B accueil aussi chaque année depuis 2016, en collaboration avec le Département de Mathématiques de l’Université d’Antananarivo, de jeunes étudiants en Master pour leur donner une expérience dans le domaine des données de santé de surveillance épidémiologique (réseau sentinelle) ou de l’observatoire de population de Moramanga (évaluation du risque sanitaire, projection de la prévalence du diabète).
Quel rôle avez-vous joué sur le cours de modélisation E²M² ?
J’étais venu en tant qu’étudiant à la première session du cours E²M², en 2016, mais cette année, j’ai joué le rôle du moniteur. Je dois dire que cette deuxième session de cours nous (les moniteurs) a bien aidé à acquérir davantage de compétences, mais surtout à partager avec les apprenants les connaissances que nous possédons.
Qu’est-ce que le cours E²M² pourrait changer ou apporter dans le domaine de la recherche ?
Actuellement, si nous essayons de voir rapidement la qualité de recherche ce que peut mener un jeune étudiant ou un jeune chercheur à Madagascar, nous pouvons nous limiter sur les analyses descriptives. Cependant, avec la quantité de données disponibles, nous pourrions améliorer la qualité des recherches et valoriser nos résultats au niveau international. L’atelier E²M² pourrait upgrader , voire propulser la capacité des chercheurs malagasy à mener des recherches de qualité et de pouvoir publier dans les journaux et revues scientifiques à fort « impact factor ».
D’ailleurs, le cours de cette année a été particulièrement interactif et les participants étaient enthousiastes. Nous avons remarqué l’évolution considérable des participants surtout au niveau de leurs bases en script d’analyse « R ». Cela nous a aidés à accélérer le cours et à aborder des points dont nous n’avons pas pu discuter l’année dernière. On peut dire que les partages de connaissances et les supports de cours peuvent aider les participants à produire plus.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué à l’IPM ?
Ce qui me plait beaucoup à l’IPM c’est cette dimension multidisciplinaire ; pour moi, la multidisciplinarité est très importante. Mais ce qui m’a marqué aussi est le partage de valeurs d’excellence des scientifiques à travers la recherche et la science.